Je n'ai jamais gagné de prix d'honneur, Nobel ou autre. Je ne me suis jamais retrouvée sous les feux des projecteurs pour avoir fait quoi que ce soit, et globalement, on peut dire que mon histoire n'a rien de particulier. Je suis même plutôt commune, et il n'y aura probablement aucun fait qui fera parler de Jayleen O'Connell longtemps après ma mort. Mais si vous tenez tout de même à l'entendre, la voilà :

C'est par un bel après-midi de printemps que je vins au monde. Première fille mais deuxième -et dernier- enfant de Monsieur et Madame O'Connell, je fais il me semble tout le bonheur de mes parents et même de mon frère, et mène une enfance calme et tranquille, recevant autant d'amour que nécessaire. Si je peux me permettre de faire quelques plaintes, ce sera pour des trucs bidons style au sujet du réveil beaucoup trop matinal -ma mère étant institutrice, nous nous rendions avec Elias avant tout le monde à l'école- et de l'absence plus ou moins fréquente de mon père -Monsieur étant homme d'affaires, son agenda était plutôt chargé. Non, comme cela a été dit précédemment, il n'y a aucun fait hors du commun qui se soit produit pendant mon enfance. C'est vers son adolescence que les choses se compliquent.

En effet, Maman découvre qu'elle a une maladie, et je ne parle pas d'un gros rhume. Une maladie qui nécessite un traitement de longue durée, dont les résultats ne sont pas garantis et qui coûtent bonbon, en bref ce que l'on appelle le cancer de nos jours. Papa décide de travailler moins pour rester au côté de Maman mais il ne peut s'arrêter totalement sinon ça nous mettrait dans le pétrin tous, alors Elias et moi on s'occupe d'elle à tour de rôle, on l'aide dans son traitement et sa convalescence, et dans un premier temps, ça fonctionne. Cependant, par la suite, elle ne répond plus à aucun traitement, et il nous sommes impuissants face à cela, il n'y a rien que nous puissions faire. Contrainte à regarder ma mère mourir à petit feu, je l'accompagne dans cette spirale et donc à mesure qu'elle perd la vie, j'en perd le goût pour la mienne. Je passe une épreuve difficile que je montrerai du doigt comme étant la pire période de ma vie, mais aussi le point tournant où tout a changé.

Je vis désormais avec un manque que je ne pense même pas à combler. Mon père est présent, mon grand frère est là aussi, mais tout ce que je veux c'est être seule. Mais ce n'est assurément pas ce dont j'ai besoin, comment on gère le deuil d'une personne qui est carrément un pilier de notre vie, comment on accepte le fait de voir partir une personne qu'on aime plus que soi-même ? On ne peut c'est tout. Je touche le fond mais me démène tout de même, c'est égoïste je me dis, ils vont de l'avant, je ne veux pas les bloquer. J'enterre. Tous les souvenirs, tout ce qui me ferait me rappeler. Je me blinde. De cette souffrance, et me protège en faisant la forte : celle qui est finalement capable d'oublier et d'avancer. Life goes on.

Je me perds même dans ce rôle, et quand je vois mon père et Elias rire ensemble, je me dis que je vais mieux également. Je fais peut-être semblant mais à force ça devient vrai, j'y crois et je recommence à sourire moi aussi. En effet, quelques années après le décès de ma mère, c'est un nouveau moi qui refait surface. Celle qui aime la vie, celle qui en profite à fond, qui n'en délaisse pas une seule miette et qui n'a pas peur de se casser les dents. La mort de ma mère m'a servi de leçon voir de tremplin, et s'il y a bien une chose qui me fait peur comme rien d'autre, c'est de mourir sans avoir vécu comme elle l'aurait souhaité. Au diable les études ! A l'école, on ne nous apprend rien sur la vie. Que faire des analyses de texte ? Ce ne sont pas elles qui nous apprennent à faire un deuil, à s'en remettre ou à en tirer une morale. Non, je crois fermement que pour apprendre, dans la vie, il faut foncer dans le mur. C'est en forgeant qu'on devient forgeron, comme le dit l'expression. Quant à savoir si c'est une bonne ou une mauvaise chose, je ne prend pas la peine de me poser la question. Du moins, pas jusqu'à ce que je fonce dans un mur qui refuse de s'abattre devant moi.

Je me forge des valeurs, les amis, la famille, c'est primordial, tout le reste est secondaire. Le truc pour profiter de sa vie, c'est de dire oui à tout sans se préoccuper des conséquences. Pas étonnant donc que je me retrouve dans des situations véritablement bizarre par moment. Tu aimes la mode ? Oui. Ça te dit de bosser dedans ? Oui. Hey, Jay tu veux fumer de ça ? Oui. Enfin, bref, je suis sûre de ne passer à côté de rien avec ça.

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